LE MAG J&A

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Réitérer un dépôt de marque : Stratégie commerciale ou dépôt de mauvaise foi ?

Newsletter / 05 juin 2025

La cour d’appel de Paris(1°) a récemment statué sur une question qui revient régulièrement : lorsqu’une entreprise dépose une nouvelle marque très proche d’une de ses marques antérieures, déjà enregistrées, cela peut-il être considéré comme un dépôt de mauvaise foi ?

 

Les faits

La société AXAMED, devenue AXSCIENCE, a été assignée par la société AXA en contrefaçon de marques. AXA invoquait, notamment, ses marques semi-figuratives françaises n° 98760580 « » de 1998, n° 99873489 « » de 1999, n° 4206248 « » de 2015 ainsi que sa nouvelle marque n° 4555424 « » de 2019, alors non soumise à preuves d’usage.

 

Les arguments des parties

En défense, à titre reconventionnel, la société AXSCIENCE soutenait que la marque « AXA » de 2019 n’avait été déposée par la société AXA qu’aux seules fins d’échapper à l’obligation faite à tout titulaire de marque de justifier, après une période de grâce de cinq ans suivant l’enregistrement d’une marque, d’un usage sérieux de sa marque pour l’ensemble des produits et services qu’elle vise. Ce dépôt de 2019, suivant de quelques années de nombreux autres dépôts antérieurs dont celui de la marque « AXA » n°4206248 de 2015, caractérisait selon AXSCIENCE la mauvaise foi de la société AXA visant à détourner le droit des marques de sa finalité pour prolonger artificiellement sa durée de protection. Elle demandait pour cette raison la nullité de la marque « AXA » de 2019.

 

De son côté, la société AXA faisait valoir qu’elle avait procédé aux différents dépôts dans le cadre d’une stratégie commerciale visant à prendre en compte l’évolution (forme/couleur) des différents signes qu’elle utilise. Elle soutenait également que la marque « AXA » de 2019 ne désignait pas exactement les mêmes services que la marque « AXA » de 2015. Notamment, les services de « livraison de médicaments à domicile » ou d’« organisation et fourniture de services de soins médicaux ; assistance médicalisée à domicile… » couverts par la marque de 2019 n’étaient pas désignés dans les marques précédent.

 

Comment la mauvaise foi est-elle déterminée ?

Afin de déterminer si le titulaire d’une marque contestée a agi de mauvaise foi au moment du dépôt de sa demande, il convient d’effectuer une appréciation globale tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement(2°).

 

La bonne foi est présumée jusqu’à preuve du contraire et un dépôt n’est abusif que s’il vise à obtenir un droit exclusif à des fins contraires aux fonctions essentielles de la marque, notamment en portant atteinte aux intérêts de tiers. Ainsi, pour qu’un dépôt soit considéré comme abusif, il faut prouver qu’il a été fait dans le seul but d’obtenir un avantage déloyal ou de nuire à autrui.

 

La position de la cour d’appel

La cour d’appel de Paris a confirmé la décision du tribunal judiciaire de Paris du 11 mai 2023 qui avait accueilli l’action en contrefaçon et rejeté la demande reconventionnelle de dépôt de mauvaise foi.

 

En effet, la cour d’appel a considéré que la société AXSCIENCE se bornait à effectuer des comparaisons entre la marque de 2019, prétendument déposée de mauvaise foi, et les marques antérieures « AXA » sans pour autant démontrer la mauvaise foi de la société AXA résultant de ces dépôts successifs.

 

La cour d’appel a suivi l’argumentaire de la société AXA consistant à faire valoir que le dépôt de 2019 relevait d’une stratégie commerciale visant à réunir sous cette nouvelle marque les diverses activités précédemment exercées sous les marques antérieures.

 

La cour d’appel considère que la société AXSCIENCE n’a pas réussi à démontrer que « l’enregistrement de la marque de 2019 procédait d’une intention de porter atteinte aux intérêts de tiers d’une manière non conforme aux usages honnêtes et d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque ».

 

A contrario, il est possible d’imaginer que, si AXA s’était contentée de redéposer strictement à l’identique ses marques antérieures, le nouveau dépôt aurait pu être considéré comme un avantage déloyal destiné à servir de base aux actions en contrefaçon sans avoir la charge d’en démontrer un usage sérieux.

 

Il est donc recommandé aux titulaires de marques de s’abstenir de redéposer strictement à l’identique leurs marques antérieures mais d’y apporter des modifications. Ces modifications, sans nécessairement être radicales, peuvent porter tant sur les produits et services désignés que sur les signes.

 

 


 

1° pôle 5, 1re chambre, 2 avril 2025, RG n° 23/10089
2° CJUE, 27 juin 2013, Malaysia Dairy, C-320/12 § 37

 

Le cabinet remercie Sofia Zaher pour sa contribution à la rédaction de cet article.

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