LE MAG J&A

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Les nouvelles armes de la lutte contre le piratage des droits audiovisuels dans le sport

Newsletter / 27 octobre 2021

Les organisateurs et diffuseurs disposeront à compter du 1er janvier 2022 d’outils forts utiles pour lutter contre la retransmission illégale d’évènements sportifs comme nous le détaille Romain Soiron.

Par Romain SOIRON, Avocat associé, Cabinet Joffe & Associés

 

L’Assemblée Nationale a adopté le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique le 29 septembre 2021. Saisi dès le lendemain par plus de 60 sénateurs, le Conseil constitutionnel a jugé le 21 octobre 2021 que certains articles de cette loi étaient contraires à la Constitution, étant cependant précisé qu’aucun d’entre eux ne concerne le dispositif anti-piratage (Cons. const., Déc. n° 2021-826 DC, 21 oct. 2021). Les organisateurs et diffuseurs disposeront donc à compter du 1er janvier 2022 d’outils forts utiles pour lutter contre la retransmission illégale d’évènements sportifs comme nous le détaille Romain Soiron.

 

L. n° 2021-1382, 25 oct. 2021, relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique

 

La singularité du piratage tient à plusieurs aspects.

 

Technique d’abord, le piratage ne se résume pas à un site Internet qui diffuse sans autorisation des compétitions sportives. Il existe de très nombreux sites vitrines contenant une multitude de liens hypertextes, qui pointent vers des plateformes d’hébergement, lesquelles permettent à la fois de créer des chaînes de streaming et de stocker les contenus piratés sur des serveurs loués ou sous-loués auprès des hébergeurs techniques ou d’innombrables intermédiaires, généralement localisés dans des paradis juridiques.

 

Temporel ensuite, les juges sont dans l’incapacité de répondre en temps réel aux sollicitations des détenteurs de droit qui constatent la diffusion en direct d’un match. La temporalité du système judiciaire français et celle du piratage de contenu diffusé en direct sont incompatibles.

 

Juridique enfin, les pirates sont anonymes ou difficilement identifiables et les intermédiaires « visibles » (hébergeurs techniques, registrars , fournisseurs d’accès à Internet…) sont aussi peu coopératifs que prompts à invoquer la responsabilité allégée des hébergeurs pour refuser de faire droit aux demandes des titulaires de droits. Or, s’agissant précisément du streaming , les mesures de retrait ou de blocage doivent être prises en temps réel (pendant la diffusion du contenu piraté), sans quoi elles ne présentent plus aucune utilité.

 

L’adoption de ce projet de loi récompense les efforts continus déployés depuis près d’une décennie par les détenteurs de droits afin de protéger la valeur des droits audiovisuels, qui constituent la principale source de financement du sport français. Chaque consommateur qui se dirige vers le streaming illégal se détourne mécaniquement d’une offre légale payante, au préjudice des titulaires de droits. L’industrie musicale a rencontré ce phénomène au début des années 2000 avec l’apparition de Napster et chacun est capable aujourd’hui d’en mesurer les conséquences.

 

Pour l’ensemble de ces raisons, il convient de saluer l’adoption de cette loi et de ses mesures saillantes présentées ci-après.

 

Création de l’ARCOM

 

Le législateur a tout d’abord créé l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), autorité administrative indépendante résultant de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). L’ARCOM et ses agents seront notamment dotés de pouvoirs d’enquête afin de constater les infractions et de demander aux intermédiaires d’agir. L’ARCOM agira comme relais de l’autorité judiciaire, ce qui fluidifiera les relations entre les titulaires de droits et les intermédiaires techniques.

 

Élaboration d’une liste noire

 

L’article L. 331-25 du Code de la propriété intellectuelle permettra à l’ARCOM d’établir une liste des sites « portant
atteinte de manière grave et répétée, aux droits d’auteur ou aux droits voisins ». Une fois établie, la liste sera rendue publique et aura pour finalité d’obliger les annonceurs, régies publicitaires et autres services de paiement à déclarer publiquement, au moins une fois par an, l’existence des relations d’a􀀁aires qu’ils entretiennent avec les sites inscrits sur ladite liste. Véritable outil de soft power , ces informations pourront aussi servir aux détenteurs de droits pour initier les procédures judiciaires appropriées.

 

Ordonnances dynamiques

 

La grande innovation du projet de loi tient à l’adoption de l’article L. 333-10 du Code du sport. En application de cet article, tout titulaire de droit (ligue professionnelle, diffuseur exclusif) pourra saisir l’autorité judiciaire afin d’obtenir une mesure de blocage ou de déréférencement d’un site dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de compétitions ou de manifestations sportives, dès lors qu’il sera en mesure de prouver l’existence d’atteintes graves et répétées à son droit d’exploitation audiovisuelle. En clair, le Tribunal judiciaire pourra, selon des procédures rapides au fond ou en référé, prononcer toutes « mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

La jurisprudence communautaire constante requiert toutefois que la mesure soit proportionnée, dans son étendue et sa durée. C’est la raison pour laquelle l’article L. 333-10 précise que le président du Tribunal peut « ordonner, au besoin sous astreinte, la mise en œuvre pour chacune des journées figurant au calendrier officiel de la compétition ou de la manifestation sportive, dans la limite d’une durée de douze mois, de toutes mesures proportionnées, telles que des mesures de blocage ou de retrait ou de déréférencement, propres à empêcher l’accès à partir du territoire français à tout service de communication au public en ligne, identifié ou qui n’a pas été identifiée à la date de ladite ordonnance […] ».

 

Et lorsqu’un site n’est pas identifié à la date de l’ordonnance du Tribunal, le titulaire de droit pourra communiquer à l’ARCOM les données permettant d’identifier ce service contrefaisant, de manière à ce qu’elle puisse enjoindre aux personnes concernées par l’ordonnance (ex. les FAI ou hébergeurs techniques) à rendre également impossible l’accès auxdits services, pour autant que l’ARCOM soit en mesure de vérifier que ces sites ont pour objet principal la diffusion de contenus illicites.

L’ARCOM pourra aussi étendre les décisions judiciaires aux sites miroirs, c’est-à-dire les sites « reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service mentionné par ladite décision », sans nouvelle intervention du juge.

Les modalités techniques restent à préciser par décret. Il sera alors intéressant d’observer si les échanges d’informations entre les titulaires de droits, l’ARCOM et les personnes visées par l’ordonnance peuvent intervenir en temps réel, de manière à assurer l’efficacité du dispositif de lutte contre le piratage.

Si tel est le cas, nous pourrions alors conclure que le régime juridique français résultant du projet de loi est relativement proche du système britannique, avec les blocking orders qui ont permis à la Premier League anglaise de porter un coup sévère au streaming illégal.

 

Coopération avec les FAI

 

Les outils offerts par le projet de loi sont résolument pertinents, pour autant que les FAI mettent en œuvre les mesures prononcées selon des délais de traitement appropriés, ce qui implique une coopération étroite de l’ensemble des parties prenantes. Le législateur a jugé opportun à cet égard d’inviter les parties concernées à adopter des accords, à l’instar de ceux intervenus au Portugal entre les détenteurs de droits et FAI.
La présente loi ne sera probablement pas suffisante pour endiguer le piratage, ne serait-ce qu’au regard de l’essor et de la popularité croissante des systèmes de modification des adresses IP tels que les VPN (Virtual Private Network ). Néanmoins, elle dote les fédérations, ligues et diffuseurs d’outils sérieux pour agir. La bagarre va désormais prendre une nouvelle direction !

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